Mais ...
De nombreuses années plus tard, en 1981 très exactement, j'ai retrouvé mes petits amis les diables au pied du mur de la maison que nous venions d'acheter en Auvergne pour installer nos métiers lyonnais. Ce fut pour moi un véritable choc. Je les avais oubliés et par le fruit du hasard, il ne m'avait jamais été donné d'en voir d'autres durant toutes ces années... En 2003, ils sont toujours là. J'aime en ces premiers jours de septembre, venir les observer en m'asseyant près d'eux, sous les arbres, comme je le faisais enfant, dans les rayons chauds du soleil de midi de ces belles journées de fin d'été. Alors, pour moi, pendant ces quelques instants, la boucle et bouclée et je m'apaise...
De retour à la Croix-Rousse, en septemble 1978, Bernard tassinari, mon nouveau patron, me fournit un logement de fonction. Il s'agissait d'un appartement intégré au batiment du vieil atelier de métiers mécaniques de Tassinari, situé Montée Kubler, à la Croix-Rousse. Pour les lyonnais, la montée Kubler est la petite rue parallèle à la rue Richan où se situe l'atelier de Monsieur Mattelon, grande figure lyonnaise s'il en fut...
Grand appartement pour le jeune célibataire de 25 ans que j'étais. Sur deux niveaux, avec une grande terrasse jouxtant le toit en dents de scie de l'usine. Car chez Tassinari & Chatel, on donnait pompeusement le nom de Usine ou encore Meca à cet atelier mécanique, pour le différencier de l'atelier des métiers à bras que j'allais intégrer prochainement, situé à deux pas de là, rue Coste, entre la Croix-Rousse et Cuire. J'irais à l'atelier de la rue Coste à pieds, c'est à 6 ou 7 minutes, passant parfois par une traboule rejoignant l'ancienne salle des fêtes de la Boucle. Ce petit chemin méconnu est bordé de petits jardins potagers bien cachés. Il y avait là un de ces nombreux terrains de boules de quartier où trônait l'effigie en tôle émaillée de Fanny montrant ses jolies fesses charnues que le malheureux (ou bienheureux ?) perdant de la partie devait embrasser sous les moqueries et les quolibets des autres joueurs.
Bernard Tassinari vînt me rendre visite Montée Kubler dès mon arrivée. Je devais, avant de rejoindre les canuts de la rue Coste, partir 3 mois pour suivre une formation théorique et pratique sur le tissage mécanique à l'Ecole de tissage de Voiron (qui a bien entendu fermé ses portes depuis). Ce passage obligé n'était pas vraiment indispensable, mais permettait à Bernard de bénéficier d'une aide de l'Etat prévue pour l'emploi de jeunes de moins de 27 ans, ce qui était tout juste mon cas. Me souhaitant un bon séjour à Voiron, Bernard Tassinari prit congé de moi, tout en me remettant une enveloppe qui me parut fort intrigante. Dans cette enveloppe, une liasse de billets de banque correspondant presque à un mois de salaire. Bernard renouvella la chose durant les 3 mois de la formation. Si je raconte ce détail, c'est pour préciser que les soyeux lyonnais ont eu longtemps la réputation souvent non usurpée d'exploiteurs et de radins. Rien n'obligeait Bernard Tassinari à faire ce geste généreux à vrai dire inattendu dans la profession. Inutile de vous dire combien d'emblée cet homme me parut sympathique !!! Et cela dura tout le temps que nous avons travaillé pour lui. Si nous n'avons pas fait fortune, nous n'avons pas non plus le sentiment d'avoir été sérieusement exploité. Merci donc à Henri et Bernard...
Ah, Méca, Méca... l'atelier de tissage mécanique de Tassinari, au-dessus duquel je logeais...J'avais accès à une grosse clef qui permettait d'entrer dans l'atelier par la lourde porte de bois massif donnant Montée Kubler. Il m'arrivait parfois, même si je n'avais pas eu une autorisation explicite pour le faire, de m'y rendre sur le coup de minuit. Un pur bonheur. Le paradis, s'il existe doit certainement ressembler un peu à cela !Les rangées de vieux métiers à tisser mécaniques, Diederichs et autres, alignés, silencieux, se reposant pour la nuit. Entré dans l'atelier, avec tout le respect dû à ces vieilles machines fournissant tous les jours des efforts depuis des dizaines d'années, j'allumais quelques lampes, par-ci, par-là, au gré de ma progression entre les machines. L'espace était rempli de partout. Matières, bobines et roquets, dessins Jacquard, pièces de rechange, entassés sur des étagères, des caisses, des cartons...
C'était un pur bonheur et je restais là quelques minutes à respirer cette odeur mélangée de soie et de graisse, à révasser...
De jour, Méca était une ruche étrangement calme et bruyante à la fois. En passant la grande porte de bois massif, un bruit assourdissant vous assaillait soudain. Pourtant, malgré ce bruit régnait un grand calme. Les ouvrières s'occupant des métiers disposaient chacune d'une vieille chaise en paille ou d'un tabouret de bois. Installées près de leur métier, elles lisaient presque toutes Nous Deux...

Regardez ce qu'ils ont fait de Meka ...

Parfois nous allions chercher nos chaînes directement chez Madame Martinez, lorsque Michel n'avait pas eu le temps de les récupérer. C'était l'occasion de la rencontrer et de tailler la bavette (discuter en jargon lyonnais). On sentait combien le travail était dur et la vie difficile à gagner. On sentait que cette activité qu'elle menait et qu'elle dirigeait avec talent n'avait pas vraiment fait l'objet d'un choix libre...
En 1981, nous dûmes quitter l'ancienne ferme que nous habitions et qui ne nous appartenait pas pour trouver un autre logement et un autre atelier. Nous achetâmes une ancienne école de 300 m2 au sol sur trois niveaux, et installâmes notre atelier au dernier étage.
Nous avons tissé à façon des kilomètres de velours et de satin grigné pour Tassinari & Chatel entre 1978 et 1987. Puis nous cessâmes cette activité pour tourner la page définitivement et nous nous séparâmes de tous nos outils.
Mais une page est-elle jamais définitivement tournée ?

Henri calculait alors la somme qu'il devait nous remettre pour la fabrication de notre métrage. Un prix au mètre était fixé et augmenté plusieurs fois par an. Henri prenait un plaisir non caché à utiliser sa machine à calculer extraordinaire. Rien que ce spectacle valait le déplacement d'Auvergne...
Puis Henri se rendait au bureau. Il en revenait quelques instants plus tard accompagné de Bernard Tassinari qui nous apportait, rubis sur l'ongle, le chèque qu'il venait de signer. Suivait généralement une conversation plus ou moins longue sur les affaires, la conjoncture et la vie privée.
Nous prenions congé, riches et soulagés que tout se soit bien passé.Mais avant de reprendre la route de l'Auvergne, nous faisions un détour montée Kubler à l'atelier mécanique.
Dans l'atelier, nous retrouvions Michel qui tenait à notre disposition les éventuels nouveaux rouleaux de chaîne et les bobines de trame. L'ourdissage était réalisé à deux pas d'ici, dans l'atelier d'ourdissage de Madame Martinez qui a cessé son activité il y a quelques années pour profiter des joies de la retraite. Madame Martinez nous aimait bien et nous le lui rendions. Cela l'étonnait et l'amusait de voir que nous avions choisi cette activité moribonde de tissage à bras, surtout après avoir abandonné des études universitaires. Elle n'en revenait pas et m'engueulait gentiment chaque fois qu'elle me voyait. Elle travaillait avec plusieurs ouvrières et possédait plusieurs ourdissoirs plus ou moins moderne, mais j'étais fasciné par le vieil ourdissoir Diederichs qu'elle utilisait surtout pour les chaînes de métiers à bras, avec la cantre d'époque à 400 roquets, comme on le voit sur la photo et comme celle que nous avons retrouvée pour notre atelier.

Puis le tissu était visité, c'est à dire déroulé et ré-enroulé sur un autre rouleau distant de 2 ou 3 mètres, sous la lumière. Henri observait le tissu, à la recherche d'éventuels défauts. Si un gros défaut survenait, il était repéré à l'aide d'une sonnette, morceau de fil fixé dans la lisière du tissu à la hauteur du défaut.

En principe, un défaut grave impliquait une retenue d'argent sur le prix de façon. En huit années, il nous est bien arrivé quelques misères. Force est de reconnaîre que jamais ne nous fut appliqué aucune pénalité ou retenue d'argent !

Le tissu visité et mesuré, Henri rejoignait son bureau sur lequel trônait une antique machine à calculer tout à fait étonnante et peu pratique qui nécessitait un nombre invraisemblable de manipulations et de tours de manivelle pour exécuter la moindre opération. Henri semblait tenir à cet instrument comme à la prunelle de ses yeux et je le soupçonne, lui qui est aujourd'hui à la retraite, d'avoir fait toute sa carrière avec cet engin...

Entre Centre ville et Croix-Rousse dans les années 70.Regardez l'enseigne du Cep Vermeil à l'effigie de Gnafron,l'un des deux gros rouges qui tachent lyonnais avec Kiravi...

Et c'était, à chaque fois le même rituel qu'ont vécu des milliers de canuts pendant plusieurs siècles. Le Siège social de la Maison Tassinari et Chatel était lui aussi un lieu extraordinaire, demeuré le même durant des siècles. Situé en étage dans un vieil immeuble bourgeois, il était silencieux et feutré. Une surface imposante dont le sol était recouvert d'un vieux parquet en chêne ciré, assemblé à batons rompus, si je me souviens bien. Partout, des rayonnages à tissus et de grandes banques de soyeux, en chêne ou autre bois dur. Partout, du bois et du tissu. Le plancher craquait à chaque pas et les tissus amortissaient tous les bruits. Des employés, secrétaire et comptable, assuraient la gestion et la facturation dans un bureau situé à une extrémité. Nulle part la moindre concession au modernisme. Tout ceci était trés impressionnant car porteur d'un long passé historique de 323 ans exactement.
Au beau milieu des banques et des tissus, se situait le bureau d'Henri Gazanion, le chef de service qui m'avait fait entrer chez le soyeux en 1979.
C'est lui que nous venions voir...
Après les politesses d'usage, il était pratiqué la mesure de la longueur des coupes, à l'aide du traditionnel mètre de soyeux.

Au rythme cadencé des mécaniques jumelées, les prestigieux brocarts d'or, d'argent et de soie s'élaborent à raison de quelques centimètres par jour. Les superbes brochés aux innombrables couleurs, les lampas à fond de satin et motifs lancés, s'enroulent imperceptiblement sur les rouleaux.

Dans l'atelier au plancher bosselé et rapiécé, le soleil darde ses rayons sur les nappes de fils aux couleurs d'arc-en-ciel. Et ces traits de lumière s'y étalent en une mare de clarté, incapables qu'ils sont de transpercer la nappe de soie dont la densité atteint souvent les 130 fils au centimètre.


En hiver, à la nuit tombée, l'atelier prend une dimension surnaturelle. Dans le sanctuaire de la soie, seules brillent les lampes individuelles des métiers, qui ont remplacé les fumeux chelus à huile d'antan. Spectacle fascinant que celui des chaînes de soie et du visage conscencieux du canut penché sur son battant, qui seuls émergent de l'obscurité totale.


En Décembre 1979, ayant rencontré ma future femme vivant en Auvergne, je quittai l'atelier de la Rue Coste. Bernard Tassinari me proposa d'emmener un métier à tisser et de prendre en charge la production du velours quadrillé. Je fus ravi car je n'avais pas d'autre perspective de travail.


Le bâti du métier en question était entreposé depuis des lustres dans un local sous verrière de la rue Calas. Ce grand entrepôt, disparu depuis, était vide mis à part ce bâti. La verrière, largement endommagée depuis longtemps avait permis aux nombreux pigeons du quartier de venir s'y réfugier et s'y reproduire. Aussi ai-je passé plusieurs jours à extraire et nettoyer les différentes pièces du métier, noyées dans 20 cm de guano de pigeon. Vingt cinq ans plus tard, j'en ai encore l'odeur dans le nez !


Marié en décembre 1979 à Craponne sur Arzon, en Haute Loire (43), nous étions d'abord installés dans une vieille ferme. Trés rapidement, je demandais à la Maison Tassinari si elle n'aurait pas un autre tissu à me donner en fabrication. Car j'avais remis en marche d'autres métiers à bras. Tassinari nous confia un satin grigné en 140 cm de large. Trop lourd à manier pour Claire, je dus lui donner mon métier de velours et hériter du métier de satin grigné.


Nous avions donc un statut indépendant d'artisan, et un client unique, Tassinari. Il nous fournit du travail à temps plein entre 1980 et 1988, date à laquelle nous cessames notre activité.


Le tisseur à façon ne s'occupait que du tissage. Tassinari nous fournissait la chaîne toute prête sur notre rouleau et la trame toute dévidée sur des bobines. A charge pour nous d'effectuer les tâches de remettage, piquage et tordage des chaînes sur le métier.


Chaque mois, nous descendions à Lyon, au siège social, que nous appelions le magasin, pour apporter une coupe de 30 à 50 mètres de nos deux étoffes. Le magasin était situé monté Saint-Sébastien, sur les pentes de la Croix-Rousse, entre les Terreaux et le Plateau.

Nous tissâmes ce velours pendant de nombreuses années en différents coloris. Il avait quelque chose de bizzare. C'était la contradiction entre la trame douppion trés irrégulière et le velours qui au contraire se caractérise en général par sa régularité. Il y avait quelque chose de trés désagréable lorsque la navette déposait une portion de douppion trés flammé en plein milieu d'un carré de velours, massacrant irrémédiablement ce carré, pour le plus grand plaisir de Tassinari et de ses clients qui l'achetaient pour cette caractéristique. Nous, nous n'avons jamais pu nous y faire. Nous avons tissé ce velours pendant près de 10 ans, et l'avons tour à tour aimé et détesté...

Pratiquement, une seule personne déambulait dans les allées, souvent une burette d'huile à la main. Michel, le gareur et chef d'atelier était un personnage particulièrement sympathique. Calme, la voix douce, l'air timide, comme caché derrière sa barbe légèrement rousse en forme de collier, il était la clé de voute de l'édifice sans qui tout se serait écroulé.
Un personnage haut en couleur, connu de tous dans le quartier était Pierrot, dit Pierrot la pipe. Il assurait depuis longtemps de nombreux services entre Méca et le Siège de la Maison Tassinari. Aussi le croisait-on souvent dans les rues de la Croix-Rousse, poussant sa petite carriole équipée de deux roues de vélo. Il emmenait une pièce de tissu, des matières ou des dessins, d'un lieu à l'autre. Pierre Laffont, dit Pierrot la pipe était une figure Croix-Roussienne, une célèbrité, presqu'une mascotte...
Je fis mes trois mois de stage à Voiron, sans grande conviction de l'intérêt de la chose pour la suite des évènements. Je trouvais tout de même un certain plaisir à piloter les vieux métiers à navettes sur lesquels nous tissions des torchons bourrés de défaut avec des matières fournies le plus souvent par les usines de tissage du coin. Ensuite, les maitres de stage tentaient de revendre les torchons à bas prix à la population pour mettre un peu de beurre dans les épinards de l'école...
De retour à Lyon à l'issue de ma formation de tisseur mécanique, je pris enfin mes fonctions rue Coste dans l'atelier des métiers à bras.Il y avait là René, le chef d'atelier, Meilleur Ouvrier de France, quadragénaire et canut de tout temps.René me semblait vieux, je n'avais alors que 26 ans. Il m'impressionnait terriblement. Il portait moustache et sous un air le plus souvent impassible, il laissait parfois place à un sourire narquois et un oeil moqueur. Ses réparties étaient cinglantes et son esprit vif. Un vrai digne descendant de Guignol en somme.
Il y avait encore un jeune de 18 ans, grand adolescent pas encore terminé, et le Père Billonnet. Au bord de la retraite, peut-être même en retard sur l'age de la retraite, le Père Billonnet menait sa vie de paisible canut. Le matin, juste avant l'heure de se mettre à l'ouvrage, installé au coin du vieux poèle à charbon De Dietrich en émail brun foncé, il lisait les titres du Progrès de Lyon, s'attardant surtout sur la rubrique nécrologique où il trouvait chaque jour un défunt qu'il avait bien connu, nous racontait sa vie, prenant visiblement un grand plaisir à constater que ses pairs s'en allaient alors que lui demeurait ...
Le Père Billonnet, vieux canut d'antan, connaissait tout le monde dans cette profession. Il était une encyclopédie vivante des faits et gestes de chacun, et c'était un régal que de l'interroger et de l'écouter. Durant les 12 mois passés à l'atelier, le Père Billonnet tissait un velours de soie aux fers, dit velours quadrillé, chaîne de fond organsin 3 bouts 20/22, chaîne poil organsin 2 bouts 20/22 et trame douppion. Ce tissu trés particulier était fabriqué depuis des lustres par Tassinari. Il servait à recouvrir des sièges Empire. C'est ce tissu que Tassinari décida de me donner à faire lorsqu'au bout d'un an je leur annoncais que je partais me marier en Auvergne et que la vie de salarié n'était pas faite pour moi. Alors, le Père Billonnet m'apprit à faire ce velours, à régler le rabot, à couper le poil...

Ayant quitté cette bonne ville de Lyon à l'âge de 17 ans, pour la Savoie, puis pour la Méditerranée, je trainais mes bottes quelques années en faculté de droit à Aix en Provence, avant de revenir à Lyon à l'âge de 26 ans, bien décidé à pratiquer le métier de canut. Je fus donc pistonné par mon père, ami d'enfance d'Henri Gazanion, chef de service de la Maison Tassinari & Chatel, la plus ancienne maison lyonnaise de soieries. Le chef de service, chez les soyeux était le responsable de la fabrication, certainement le poste le plus élevé après, bien sûr, celui du patron, en l'occurence Bernard Tassinari.
Nous étions alors à la Croix-Rousse en septembre 1978. Certes, ce quartier avait bien changé durant mes années d'absence; enfant, j'avais connu les limonades A.Ferrand, dont les employés livraient les caisses en bois dans les bistrots du quartier, à l'aide de leurs charrette en planches équipée de pneumatiques et tirée par un ... cheval, déposant élégamment ses crottins au beau milieu de la rue.
Et il y avait encore les rémouleurs qui aiguisaient les couteaux et ciseaux sur le trottoir, les patis vociférants qui vidaient les greniers. Et encore les vieux camion-citernes de l'UMDP, sigle dont je n'ai jamais connu la signification exacte, mais nous avions coutûme de dire que cela signifiait "Une M... De Plus", puisque ce service municipal odorifère était chargé de vider les cuves des immeubles qui n'étaient pas encore reliés au tout-à-l'égout de la ville.
Et puis sur le circuit qui me conduisait de mon domicile de la rue Louis Thevenet à l'annexe de l'école privée de garçons de Saint Denis, - l'école des frères était située au 77 Grande Rue de la Croix-Rousse et une annexe fut utilisée à une époque donnée à Cuire, un peu plus loin et en face du dépot des trolleys de l'OTL (Office des transports lyonnais), où l'on garait pour la nuit les trolleys des lignes 6 et 33. Sur le circuit, disais-je, qui me conduisait de mon domicile de la rue Louis Thevenet à l'annexe de l'école, à Cuire, tout le long des rues, le rez de chaussée était occupé par les ateliers mécaniques qui tissaient, tissaient, tissaient toute la journée sans discontinuer, emplissant les rues du quartier d'une douce mélodie rassurante qui a bercé mon enfance. Je ramassais sur le trottoir les cônes de carton de soie vides, qui n'étaient alors pas consignés et, enfilant mes prises de guerre les unes sur les autres, je me confectionnais une épée magique qui faisait de moi un héros invincible à qui l'avenir promettait tout.
Je viens juste d'avoir 50 ans, et j'ai bien du mal à assumer cet âge ingrat que je ne pense pas avoir mérité. La vie ne m'a pas vraiment souri comme le promettait l'épée magique, allant même jusqu'à m'infliger quelques solides épreuves du genre dont on se passerait. Me replongeant dans ces souvenirs de gône, d'enfant de la Croix-Rousse, j'ai bien du mal à faire le lien avec la vie que je mène aujourd'hui. Vous rendez-vous compte que j'ai connu le crottin de cheval dans les rues de mon quartier, moi qui ai encore 17 ans dans ma tête ?!
Plus tôt encore, et encore plus petit, je vivais dans ma première demeure, une vieille maison bourgeoise dans un grand parc qui donnait coté Caluire au 17 de la rue Jamen Grand et coté Cuire sur le Chemin des grandes terres ( qui n'était effectivement pas encore goudroné de partout). Rendez-vous compte, si vous connaissez aujourd'hui l'endroit. C'était au bord de la voie ferrée où passaient encore des trains. Un jour nous vîmes sur la voie un... sanglier égaré qui venait d'encore plus loin. J'avais 4 ou 5 ans peut-être. Je descendai sur la voie ferrée et déposai en équilibre sur un rail un des caillous du ballaste. Une sorte de gros galet de rivière. Je remontai, très inquiet, à la cime du fossé, sur le Chemin des grandes terres, à l'approche du train, me demandant si le galet allait le faire dérailler avant qu'il n'entre en gare de Caluire, le coeur plein de remords et les yeux remplis de larmes. Le train ne dérailla jamais et laissa chaque fois une poussière de galet sur le rail, qui sentait l'odeur de la poudre à canon. A coté de la maison bourgeoise, un champ de choux cultivé par un paysan et son cheval !
Vous pensez bien que la vieille maison n'existe plus. Elle a été rasée il y a une trentaine d'année pour faire place à un petit immeuble collectif bien anodin.Sous le goudron, il y a mes jouets, ma petite chaîne en or, perdue, les os de mes chats, mes souvenirs et ma petite enfance.Sur le goudron, il n'y a plus rien que des taches graisseuses irisées laissées par les voitures stationnées sur le parking. Et pourtant ! Sous ce goudron, j'y ai laissé mes petits amis. Ces étranges insectes qui se plaisaient en sous-bois et avec lesquels j'ai tant joué qu'ils m'ont marqué à vie. Ces petits insectes qui portent sur le dos une carapace rouge comportant le dessin, en noir, d'un masque africain. J'y voyais une tête de diable et je les appellais mes petits diables. Je les adorais. Puis j'ai grandi, je les ai quittés, puis oubliés, et on les a recouvert de goudron. C'est dégueulasse !!!

Joseph Perret faisant ses canettes pour le lendemain.

Je suis né en la clinique Saint-Augustin à la Croix-Rousse le 23 avril 1953. Cette clinique a depuis disparu, comme beaucoup d'autres en France.

Né de parents lyonnais eux-mêmes issus, comme la plupart des lyonnais actuels, de parents ayant immigré de la campagne à Lyon, en provenance des départements limitrophes, Ain, Loire, Haute-Loire, Isère, Savoie.


Mon grand-père maternel, Aimé Perret, dit Joseph (car il n'aimait pas son prénom), dernier garçon d'une famille de quinze enfants, naquit dans la ferme familiale dans un village de la Loire (42), voisin de Noirétable et du pays d'Aimé Jacquet. Ne pouvant pas reprendre la ferme réservée au fils ainé, il dût s'exiler à Lyon, à la recherche de travail, comme beaucoup d'autres à cette époque. Je ne connais malheureusement pas le détail de sa vie que personne ne crût bon de me raconter, mais je sais qu'il fut canut jusqu'au bout. Tout d'abord apprenti, assurément. Puis avant guerre, il eut un atelier de métiers mécaniques. Après guerre on le retrouve dans son atelier de métiers à bras (!) sur le palier de son misérable appartement, au 2 de la Place Marcel Bertone (ex. Place Belfort). C'est là que, petit garçon, je l'ai souvent regardé tisser ou faire ses canettes à la main pour le lendemain.

Joseph Perret dans son atelier

Gendarme, Suisse, Soldat, Punaise rouge, Cherche-midi,tels sont les noms les plus couramment utilisés pour désignerle Pyrrhocoris Apterus, autrement dit la punaise au corps de feu.

Mon métier de velours quadrillé en 1980.

Outil de mesure de la pièce de tissu livrée

La calculatrice d'Henri Gazanion

Ourdissoir mécanique Diederichs du IXX° siècle