Vue de face d'un métier à bouton

Le métier à bouton.

La nécessité de satisfaire aux demandes pressantes, devait naturellement inciter à découvrir des procédés plus expéditifs de fabrication, convenant mieux aussi à l'exécution des étoffes courantes. On disposait bien pour les étoffes à décors simples, d'un métier dit à bouton ou à la petite tire, dans lequel la tireuse agissait directement sur les cordes du rame, par l'intermédiaire de lacs et de boutons suspendus au-dessous d'une planche, fixée sur le coté du métier. Pour le reste l'organisation était celle des métiers à semple, mais la tâche de la tireuse était là simplifiée. Plus n'était besoin pour elle de se livrer aux manipulations successives du dégagement des lacs, de la prise des cordes du semple, il lui suffisait de tirer les boutons à tour de rôle, dans l'ordre qui leur avait été assigné.
Mais cette simplification avait pour contre-partie de limiter l'application de ce métier à la fabrication de très petits décors. Le problème de son adaptation à des tâches plus importantes fut ingénieusement résolu dans la première moitié du XVIII° siècle.
Paulet consacre plusieurs chapitres à l'organisation ainsi créée et à laquelle restent attachés les noms de Galantier, de Blache, de Talandiers frères. Par le groupement des cordes qui devaient agir sur plusieurs coups consécutifs, le nombre des boutons put atteindre 1400-1500, sans que se trouve restreint l'intérêt que présentait ce système de métier, de produire moitié plus vite qu'à la grande tire.
L'organisation d'un métier à bouton était, il est vrai, beaucoup plus complexe et coûteuse que celle d'un métier à semple ; il devait pouvoir travailler durant une longue période pour que le tisseur y trouve un profit. Mais il procurait de telles commodités que son emploi se développa à coté du métier à la grande tire. Celui-ci fut réservé pour l'exécution des tissus à grands dessins et pour ceux où les procédés de lisage à réduction ne pouvaient s'appliquer ; pour ceux aussi où la tire ne se produisant qu'à l'intervalle de plusieurs coups de fond, les velours par exemple, permettait à ce métier de tisser aussi vite qu'au bouton.
Il n'en est pas moins vrai que le temps consacré à l'installation des semples, temps pendant lequel le métier était immobilisé, la difficulté que présentaient les corrections des erreurs, la nécessité pour le tisseur d'avoir à ses cotés un aide compétent et habile, la pénible tâche de la tire, les pertes de temps occasionnées par les réparations des cordes qui se rompaient durant le travail, les imperfections dues aux influences atmosphériques agissant sur la longueur des cordes, et par dessus tout, la destruction irrémédiable de l'organisation à la fin du tissage, comme l'obligation de limiter les formules du décor à quelques genres, avaient provoqué des recherches et suscité des réalisations dès le début du XVIII° siècle.
Le problème, par ses multiples faces, était singulièrement complexe et c'est sous des angles différents qu'il fut abordé. On parvint tout d'abord à des solutions de détail, laissant subsister l'agencement du rame et du semple, mais augmentant les possibilités du métier. C'est ainsi que son immobilisation aux changements de dessin fut limitée à la seule confection des lacs, le lisage proprement dit étant effectué hors du métier, puis reporté sur le semple par un contresemplage. L'essai des nouveaux dessins, qui revenait à chaque saison pour la préparation de la collection, se fit sans détruire l'organisation de la petite tire, par l'adjonction d'un semple à l'arrière du rame. La fatigue excessive, imposée aux tireuses, fut considérablement réduite par l'invention de la machine à tirer, par laquelle la flexion des cordes du rame était réalisée par l'abattement d'un levier agissant sur deux barres horizontales, celle de dessous passée en avant du semple, celle de dessus en arrière des prises du lacs.
Ce fut ensuite l'adaptation au métier de la mécanique permettant, non seulement de faciliter la tire, mais de conserver le bénéfice de la longue organisation préalable pour des emplois ultérieurs.
C'est en premier lieu la machine de Basile Bouchon, puis celle de Falcon, qui substitue des plaques de carton aux lacs du semple. Le lisage aboutissait, ici, à percer dans les plaques autant de trous qu'il y aurait eu de cordes prises dans les boucles du lacs. En présentant et en pressant à tour de rôle ces bandes de carton au devant de tiges métalliques, s'effectuait, par les pleins et les trous, une sélection de ces tiges, les aiguilles. Les aiguilles refoulées provoquaient le recul de crochets suspendus aux cordes du rame, sur le coté du métier. L'abaissement des crochets non refoulés, ceux correspondant aux trous du carton, réalisé au moyen d'une marche, provoquait la levée des fils prévus pour la production du décor.
C'était là un apport d'une importance décisive : le premier pas vers la substitution d'une machine au rame et au semple. La manufacture s'y intéressa. Le règlement de 1744 prescrit qu'au moins un des six métiers à organiser dans le bureau de la Communauté, pour faire subir aux apprentis, compagnons et fils de maîtres l'examen probatoire, le chef-d'oeuvre, doit être muni de ce mécanisme. Plus loin, ce règlement permet aux maîtres-ouvriers à façon, d'avoir un cinquième métier battant (au lieu de quatre) pourvu que dans le nombre desdits cinq métiers, il y en ait au moins un monté suivant la nouvelle mécanique du sieur Falcon.
Le succès de ce métier ne fut pas considérable ; il permettait cependant de tisser plus vite et mieux et s'appliquait à l'exécution des façonnés sur 400, 600 cordes. Mais la préparation des bandes de carton était longue et onéreuse. Malgré la création de machines spéciales de lisage, l'écueil du perçage rapide, et peu coûteux des cartons n'avait pu être franchi. Il faudra d'ailleurs attendre la fin du premier quart du XIX° siècle, pour que soit résolu le problème du lisage et que soit apportée à la mécanique Jacquard la solution définitive.
Parallèlement, l'idée faisait son chemin de confier à une mécanique, placée sous le seul contrôle du tisseur, la mission de sélectionner les fils. En ne signalant que pour mémoire les premières tentatives de création d'un métier limitant la mission de l'ouvrier à un rôle de surveillance, il faut retenir, visant à la suppression de la tireuse, la machine de Vaucanson et celle de Régnier. Paulet, parlant de la mécanique à cylindre de Régnier (il s'agit là d'une création d'un fabricant nîmois), dit qu'elle est une des plus belles inventions qu'on ait jamais faites depuis que la fabrique existe et lui fait ajouter : J'ai vu cette mécanique, je la connais, et si je montais une manufacture, je ne me servirais jamais d'autre que de celle-là pour fabriquer les étoffes courantes.
Le métier de Philippe de Lasalle.
Arrivé à ce point de notre étude, nous devons nous demander si ce métier, malgré les perfectionnements incessants qui lui avaient été apportés, pouvait autoriser l'exécution des très grandes compositions que devait créer Philippe de lasalle. Le problème allait consister à réunir au métier un nombre inusité de lacs. Le broché, technique préférée de Lasalle, celle du moins d'après laquelle il a créé ses plus célèbres tentures, réclame dans son application à des décors d'ameublement, et du fait de leur ampleur, un nombre considérable de trames. Si aucun obstacle ne se dressait quant aux possibilités de développer librement le jeu de ces trames dans toute la largeur du tissu - les rames de 800 y pourvoyant - il n'en était point de même quant à leur développement en hauteur.
On disposait bien de moyens d'ordre purement technique, procédés de composition, ou procédés de tissage et lisage, susceptibles de limiter dans une certaine mesure le nombre des lacs :
- le mariage des lats, procédé applicable aux seuls brochés, qui consistait à réunir, dans un même lacs, des prises appartenant à des trames différentes, que le tisseur distinguait en les brochant spécialement.
- l'emploi de masques, au moyen desquels se diversifiait la partie centrale des motifs superposés, en ajustant  leur composition dans la charpente uniforme du décor de liaison et d'encadrement que l'on réalisait par les mêmes semples.
Mais même avec ces réductions, il ne pouvait être question de faire porter à un rame des milliers de lacs. 13.000 dans le décor aux colombes, dont le rapport ne mesure cependant que 0 m. 78 pour la largeur de 54 centimètres ; 32.000 pour le décor à la corbeille fleurie ; 53.000 pour celui du martin-pêcheur et il en exige de plus grands.
Lasalle conçut donc de recourir à des semples amovibles et de distribuer sur ces semples les lacs nécessaires. L'idée certes n'était pas nouvelle, mais elle ne pouvait prendre forme pratique qu'en créant, de toutes pièces, un procédé simple et rapide de fixation des semples au rame. Il appartenait à Lasalle de découvrir ce mode d'attache ; il est d'une telle ingéniosité qu'il surprend toujours à le voir exécuter, car c'est encore de cette façon que nous suspendons nos semples actuels aux machines de piquage et aux pieds de lisage.
Et du même coup se trouvait résolue toute une série de problèmes qui avaient hanté les générations successives de praticiens : non seulement ne plus avoir à détruire la longue préparation des semples lorsqu'il fallait substituer un dessin à un autre, mais avoir en réserve, prêts à l'emploi, des semples éprouvés dont toutes les les fautes avaient été corrigées ; assurer la régularité du tissage en déchargeant le rame de semples multiples ; permettre l'exécution de motifs retournés - les reversibles - dans le sens de la largeur comme dans le sens de la hauteur, avec le nombre de lacs d'un seul motif ; augmenter les possibilités du décorateur en lui permettant d'adjoindre à ses dessins des jeux d'armures, les points comptés.
En se bornant à l'essentiel, voici en quoi consiste cette ingénieuse création :Sur le coté du métier, au-dessous d'un second cassin, Lasalle fixe une planche percée de deux rangées de trous pour chaque rangée horizontale de poulies. Chaque corde du rame est reliée au-dessus de cette planche à un petit cube de plomb auquel est soudé un long crochet ; l'attache étant assurée de telle sorte que les becs des crochets se présentent uniformément dans le sens de la longueur du métier.
A la partie supérieure du semple, chaque corde forme une boucle, en enjambant l'intervalle de deux réglettes fixées parallèlement dans un cadre ; le nombre comme l'espacement des réglettes correspondant à ceux des rangées de crochets suspendus aux cordes du rame. En faisant également concorder l'espacement des boucles le long des réglettes et celui des crochets de chaque rangée, il devient possible, en soulevant le cadre, d'engager un crochet entre chaque boucle de corde et, par un léger déplacement longitudinal, de suspendre d'un seul coup toutes les boucles aux crochets correspondants. De la même façon, mais par un déplacement de sens inverse, s'obtient le décrochage simultané de toutes les cordes.
Pour tirer pleinement parti de ce métier, Philippe de Lasalle lui adjoignit la machine à tirer, mais qu'il perfectionna au point d'en faire une machine nouvelle dont les maîtres-gardes dirent qu'elle serait à elle seule le motif d'une récompense. Enfin, il créa un métier pour lire et confectionner commodément les lacs des semples.
Nous possédons de ces inventions une remarquable description dans un rapport présenté, en 1775, à l'Académie des Sciences. On y trouve, avec les descriptions détaillées du métier à la grande tire et du nouveau métier, un comparatif documenté des deux systèmes. Philippe de Lasalle fit éditer ce rapport en 1802, pour que les fabricants qui ne connaissent pas les avantages que son métier présente, puissent les découvrir. Par là apparaît, une fois de plus, la bonté, le désintéresement d'un homme qui possédait admirablement son métier. S'il est le plus grand parmi les décorateurs qui aient illustré l'art des soieries façonnées, il est aussi celui dont on put dire que peu d'artistes peuvent se flatter d'avoir introduit dans un art des réformes aussi avantageuses, et dont l'application fut aussi facile et, ce qui est si important, plus propres à économiser et le temps et les hommes.

Les trois dernières phases de la construction d'un lac.

La faiseuse de lacs dégageait alors la dernière embarbe placée, en réunissait dans sa main gauche les deux extrémités, dégageait par ce moyen les cordes sélectionnées, glissait sa main droite dans l'ouverture et les faisait passer dans sa main gauche. Du dos de la main, elle repoussait les cordes laissées de manière à pouvoir saisir les cordes prises au-dessus du lac à l'anglaise et glissait en arrière l'extrémité du fil de lac. Abandonnant les cordes du semple, elle formait alord autant de boucles qu'il y avait de prises, la main droite les séparant exactement et accrochant entre chacune d'elles, le fil à sa main gauche, de façon à laisser entre les cordes et la main, la longueur qui devait être donnée aux boucles du lacs. Les deux extrémités du fil étaient alors nouées, et les boucles égalisées puis réunies, en les roulant quelque peu sur elles-mêmes, enfin fixées à leur gavacine préalablement préparée.
Le lac terminé était alors accroché tout en haut du semple et les mêmes opérations étaient renouvelées pour toutes les autre embarbes.
La minutie des lectures et de la confection des lacs était extrême car la correction des erreurs (courues, ommissions) était longue et difficile lorsque le semple était monté, dévergé et le lac à l'anglaise retiré.

L'organisation du métier, la préparation des semples, des lacs, nécessitaient de longs délais. Justin Godart, signale la présentation, en 1783, d'une note de dépenses engagées par un maître ouvrier, d'après laquelle la préparation des semples de son métier avait nécessité 25 journées de lisage et 25 journées de faiseuse de lacs. Un état de frais avancés en 1780 pour le montage d'un métier, dénombre 16 journées de lisage et 18 journées de confections de lacs pour un dessin distribué sur 12 semples.
Les sommes à engager étaient très importantes ; allant de 400 livres pour les étoffes difficiles, mais elle pouvaient atteindre de 1500 à 3000 livres pour les métiers de velours à bordures pour vestes, habits et robes.
Au surplus, toute cette organisation, lentement élaborée, devait être entièrement détruite, les lacs dénoués  pour faire place à un autre semple, lorsque le tissu pour lequel elle avait été entreprise se trouvait terminé. C'était là un des plus graves inconvénients que présentait ce métier.
Aussi bien de quoi ce métier était-il capable ? Il n'avait cessé d'être perfectionné pour satisfaire aux besoins de tissus nouveaux, pour amplifier leur décor, le développer sans répétition dans toute la largeur de l'étoffe. Le nombre des cordes du rame qui se bornait à l'origine à 300 ou 400, avait été porté à 800, à 1200. Pour certains tissus, les velours spécialement, des rames allant jusqu'à 2000 cordes avaient été créés.
Evidemment - il en est encore ainsi de nos jours, malgré les perfectionnements acquis, les techniques des tissus avaient dû se plier aux possibilités du métier. Par exemple, la nécessité de donner aux fils les croisures individuelles par l'intermédiaire des lisses, interdisait l'emploi  d'armures qui auraient conduit à un trop grand nombre de lisses et de marches. Cette interdiction nous la trouvons dans l'emploi presque exclusif des trames brochées, dans l'utilisation des fils de la chaîne de fond pour lier les effets de trame des lampas...
En outre, la fabrication était lente, car elle était bridée par les manoeuvres de la tire.

Détail de la mise en carte, réduite auseptième, d'un décor de lampas broché.


Le problème du lisage était en fait ce qu'il est actuellement ; cependant la nécessité de tirer les lacs dans l'ordre fixé pour le passage des trames, imposait de les confectionner dans cet ordre, et ainsi d'effectuer simultanément les lectures de toutes les couleurs composant la passée de lisage.
C'est ainsi que pour une mise en carte comportant sept lats, c'est-à-dire sept couleurs de trame, par exemple: une de liseré - au XVIII° siècle, trame participant au décor en même temps qu'à la formation du fond - et six de broché, la liseuse sélectionnait dans une première passée de lisage, les prises indiquées par la couleur du liseré sur le petit doigt de la main gauche et, respectivement, sur les trois autres doigts les prises figurées par les couleurs des trois premiers lats de broché; dans une seconde passée, elle sélectionnait sur trois doigts, les prises des trois dernières trames.
Ayant effectué son travail de sélection sur toute la largeur du semple, la liseuse glissait une embarbe sous les cordes retenues par chacun de ses doigts. Ayant bouclé les embarbes à la corde receveuse, elle abaissait la mise en carte d'un interligne et reprenait ses lectures, parcourant successivement chaque interligne horizontale et en tenant compte des interruptions et des reprises des lats. Les effets de la mise en carte se trouvaient ainsi reportés sur le semple.
Les lacs se construisaient lorsque toutes les embarbes que le semple devait recevoir y étaient réunies. Mais ce travail n'était pas toujours exécuté en deux fois. Les lacs pouvaient être directement construits, passée par passée, comme aussi le lisage pouvait être mené sur un seul doigt soit par la liseuse seule, soit avec une aide qui dictait les prises en les suivant sur la mise en carte.
Confection des lacs.
La confection des lacs imposait la construction préalable d'un lac spécial, à l'arrière du semple ; il se composait d'autant de boucles distinctes que le semple comportait de cordes. Lorsque toutes les boucles avaient été soigneusement égalisées, elles étaient fortement tendues dans une position presque horizontale. Ce lac, dit à l'anglaise, évitait les intercalations des prises qui auraient gêné le libre fonctionnement de la tire.

Lacs confectionnés.

Les cordes contigues, figurées ici dans des boucles isolées,étaient pratiquement réunies dans une même boucle.

A chaque corde du rame était suspendue, par une boucle ou un anneau, une nouvelle corde, celle du semple.
Fixées à leur partie inférieure à un bâton, elles étaient uniformément tendues pendant le travail, en accrochant le bâton au plancher de l'atelier.
Au semple, se fixaient les lacs, groupe de boucles de fils dans lesquelles étaient réunies les cordes du semple qui devaient agir sur les fils de la chaîne. Le problème de la formation d'un décor tissé se résume, en effet, à soulever alternativement certains fils, ceux par exemple au-dessous desquels doit apparaître la trame. Il fallait ici autant de boucles qu'il y avait de fils ou de groupes de fils, les pris, à soulever dans la largeur du chemin. Toutes les boucles nécessaires au passage d'une seule trame constituaient un lacé ; elles étaient nouées à une rallonge, la gavacine, elle-même bouclée à une grosse corde, la gavacinière, chargée de maintenir les lacs à leur rang.
Sur le métier ainsi organisé, le tissage s'effectuait par l'action simultanée d'un aide, le tireur de lacs ou le plus souvent la tireuse, et de l'ouvrier tisseur. En tendant les boucles d'un lacs, la tireuse dégagait les cordes du semple sélectionnées, les saisissait à deux mains et exerçait un effort de haut en bas. Les cordes correspondantes du rang fléchissaient sous cette traction ; par leurs extrémités reliées aux arcades, elles soulevaient les fils groupés dans les maillons.
C'est alors que le tisseur lançait sa navette après avoir apporté, par le moyen des lisses, les modifications nécessaires à la constitution des deux nappes de fils. Suivant le cas, il substituait à la navette les espolins du broché ou les fers du velours.
Le tisseur agissait sur les lisses par l'intermédiaire de marches rangées sous le métier. En foulant une des pédales de cette sorte de clavier, il provoquait, suivant le mode d'attache, la levée ou l'abaissement d'une lisse, parfois simultanément la levée d'une lisse et l'abaissement d'une autre. Les marches, aussi nombreuses que le rythme des croisures l'exigeait, nécessitaient fréquemment l'action des deux pieds de l'ouvrier.
Et ainsi constamment se répétaient ces opérations ; la tireuse faisant glisser au bas du semple le lac dont elle s'était servie, dégageant le suivant pendant que l'ouvrier passait, en actionnant les lisses, les trames de fond, celles sur lesquelles ne se produisait pas de décor. Puis c'était, le moment venu, une nouvelle traction des cordes du semple, le passage des trames de décor...
La longueur du rame, qui se développait à la droite ou à la gauche du métier, suivant son emplacement dans l'atelier, pouvait vêtre importante. De cette longueur dépendait le nombre de semples que le rame pouvait recevoir et, de ce fait, la hauteur du dessin susceptible d'être exécuté. Car le nombre des lacs qu'il était possible de réunir sur un semple était limité. Si Paulet signale qu'il va quelquefois à 1500, ce ne pouvait être que dans des cas exceptionnels. Or, certains tissus réclamaient un nombre considérable de lacs ; ils étaient alors distribués sur plusieurs semples, suspendus au rame en arrière les uns des autres, et utilisés à tour de rôle. Dès que tous ses lacs avaient été tirés, le semple était détendu, ses cordes roulées, et il était accroché sur le coté du rame. A sa place était tendu le semple suivant, et le tissage se poursuivait en passant de l'un à l'autre.
Une telle organisation ne paraît pas avoir été celle de l'origine. Primitivement, les lacs étaient formés sur le rame même et c'est ainsi que nous pouvons encore voir en action, là où la mècanique Jacquard n'a pas pénétré. Les visiteurs de la section coloniale, à l'exposition de Paris 1937, ont pu suivre le fonctionnement de tels métiers aux stands de Syrie, d'Indo-Chine. Le rame est suspendu à un cadre fixé au-dessus du métier où il constitue le simple prolongement des arcades. Le tireur accroupi sur le métier, agit sur les fils en soulevant les cordes du rame sélectionnées par les lacs, en s'aidant au besoin d'un levier lorsque le poids à soulever est trop important. Ce genre de métier existait au XVIII° siècle, mais il ne pouvait convenir à tous les tissus car le nombre de lacs était nécessairement limité. C'est pour en augmenter le nombre que le rame a étév ployé sur le coté du métier et que le semple lui a été adjoint.
Organisation du métier, Mise en carte, Lisage.
L'organisation d'un métier à semple, ou métier à la grande tire, comportait deux groupes d'opérations ; d'une part celles effectuées à l'intérieur du métier, puis celles devant aboutir à la confection des lacs sur le semple. Elles étaient, les unes et les autres, exécutées par des spécialistes pour en réduire la durée.
Sur le semple suspendu au rame, s'effectuait d'abord un travail de préparation, le lisage de lacs mise en carte, que vle dessinateur avait tracée sur du papier réglé à la réduction convenable.
Les mises en carte du XVIII° siècle ne diffèrent guère de celles de nos jours ; les effets devant composer le décor y sont figurés, d'une manière plus ou moins conventionnelle, au moyen de couleurs garnissant les petits carrés ou rectangles, constitués par des traits perpendiculaires rapprochés. Chaque interligne vertical de ce fin quadrillage représente un ou plusieurs fils, chaque interligne horizontal une ou plusieurs trames. Lorsque l'interligne représente plusieurs fils, les croisures, les croisures propres à chacun de ces fils ne peuvent y être détaillées, et la mise en carte se borne à situer les formes du décor, à les délimiter les unes par rapport aux autres, en figurant chaque effet par une couleur différente; pour le lisage, le semple était tendu, envergé, et ses cordes réparties dans une largeur égale à celle de la carte en les plaçant dans les entailles d'une règle, l'escalette. En suivant chaque interligne horizontal de la mise en carte, la liseuse allait choisir sur le semple les cordes qui seraient ultérieurement gansées par les lacs.

Métier à la tire, vue de face

Dans la figure précédente, on avait représenté, par souci de clarté, une seule corde de semple A, commandant les 4 fils G, premiers fils de chaque chemin du tissu H. Ici nous voyons à droite le motif composé de 15 fils et à gauche nous voyons les 15 cordes de semple verticales nécessaires à commander ces 15 fils du motif. Si on se reporte au croquis précédent, on comprendra que chacune de des 15 cordes de semple sera raccordée à 4 fils de chaîne. Jusque là tout est clair ...
Nous comptons 15 fils de chaîne et 16 trames constituant notre motif sur le croquis de droite. Sur celui de gauche, nous comptons 15 cordes de semples correspondant aux 15 fils de chaîne,  et également 16 lacs (ficelles horizontales bouclant sur une ou plusieurs cordes de semple) correspondant aux 16 trames.

Ville de lyon Ecole de tissage Philippe de Lasalle

Le métier à la tire

Pour rendre, du coté technique, l'hommage que nous devons à celui qui a apporté à la manufacture lyonnaise, le fleuron qui a couronné toute la production textile, du XVIII° siècle, il était nécessaire d'ajouter quelques pages pour évoquer ce qu'étaient les moyens utilisés à cette époque pour la fabrication des soieries façonnées, noter ce qu'était le métier, sa longue préparation, son fonctionnement, les méthodes de travail et de technique qu'il avaient imposées, les inventions qui, peu à peu, avaient élargi son action. Dans l'apport, à ce métier, de modifications qui transformèrent ses possibilités, Philippe de Lasalle a fait preuve de génie. Ce qu'il a créé est à ce point parfait que nous l'utilisons encore, à 170 ans de distance, dans une machine qui est le complément indispensable du métier actuel, la machine de lisage.
Pour apprécier à leur juste valeur ces inventions, il faut d'abord jeter un regard en arrière et étudier le métier que Lasalle avait à sa disposition pour l'exécution de se premières oeuvres.
Le métier à semple
Sur le bâti du métier, au-dessus de la chaîne, des maillons, des arcades, disposés tels que nous les voyons encore dans nos métiers à bras modernes, était fixé un cassin, assemblage de petites poulies de bois rigoureusement rangées dans un cadre rectangulaire.Dans la gorge de chaque poulie passait une corde ; à l'intérieur du métier, ces cordes étaient individuellement réunies aux arcades distribuées dans la planche d'empoutage ; à l'extérieur elles étaient nouées côte à côte, à un bâton fixé au mur de l'atelier.  Toutes ces cordes constituaient le rame ; il se développait latéralement à la hauteur du cassin et perpendiculairement aux fils de la chaîne.